De l’intégration du virtuel au détachement du réel
À cette étape-ci de mon parcours, je dois dire que je me sens particulièrement vivante. Assez pour en ressentir le besoin de créer un nouvel espace de publication pour l’exprimer. Un espace où je pourrai déposer ces vagues de mots qui me submergent et débordent des nombreux projets d’écriture déjà entamés. Un blog pour partager mes réflexions autour de notre précieuse relation d’inter-influence avec le territoire occupé, c’est-à-dire comment le fait de changer un tant soit peu d’environnement modifie notre environnement intérieur au niveau des émotions et du mode de pensée et comment, à l’inverse, notre état d’esprit et d’être module notre environnement extérieur.
Cette démarche d’écriture qui est mienne teinte toutes mes observations. Que je me retrouve devant une pièce de théâtre, un enfant ou une pierre, j’en finis toujours malgré moi par analyser la vie en regard de cette connexion si spéciale entre les êtres et les choses.
Récemment, je visionnais le très mystérieux Paris est à nous, d’Elizabeth Vogler. La réalisatrice joue habilement avec plusieurs réalités parallèles, la protagoniste en proie à un deuil immense qui la mène à tout remettre en question, à commencer par la vie : « On voudrait tellement sentir un truc fort, tellement intense […] même si cette vie n’est peut-être qu’un rêve. »
Ces deux idées centrales du film, que l’on ressent tous et toutes le désir de vivre des émotions extrêmes à notre manière et que le réel tel qu’on le conçoit n’est peut-être qu’une illusion, me sont apparues dichotomiques, certes, mais surtout intrinsèquement liées.
Comme si le fait même de douter du réel nous poussait à commettre des actes parfois dangereux ou même stupides dans l’unique but de se sentir vivants. Comme s’il fallait nécessairement sentir l’adrénaline couler dans nos veines ou le drame dans nos vies pour s’assurer que notre cœur palpite.
Mais d’où provient cette impression si contemporaine de vide, de flottement, de n’être pas assez de nous-mêmes pour nous convaincre d’être vivants ? Ne serait-ce pas suffisant que de respirer pour savoir que l’on est ?
Si l’on s’en tient à la première définition du Larousse, oui : « Vivant.e : Qui a les caractéristiques de la vie, par rapport à ce qui est inanimé. ». Assez simple. Mais si l’on se fie aux définitions suivantes, ça se complique : « Qui est plein d’élan, de dynamisme. Qui exprime la vie avec force. » Avec force, élan, dynamisme, ce n’est pas rien !
Je me demande alors si ce n’est pas quelque chose qui venait autrefois naturellement à l’humain que de vivre ainsi ? Je ne crois pas que nos défricheurs se sentaient le besoin de sauter en parachute, pas plus que les princesses d’Orient, du haut de leur prison, n’avaient envie de se « lancer des défis » ou de « dépasser leurs limites ». Je crois que la vie en elle seule, placée dans un contexte difficile, suffit à ancrer dans chaque pore de peau cette certitude : ou bien je suis vivant ou bien je suis mort.
Et si l’impression de détachement du monde et la recherche de sensations fortes pour s’y raccrocher qui vient avec provenait non seulement de la dissolution du spirituel dans notre quotidien, mais de l’intégration du virtuel dans nos vies ?
Rappelons-nous l’apparition du cinéma, cette fiction plus grande que nature présentée à travers un écran pour la première fois. Lorsque le train avançait vers son public, il le faisait hurler de peur ! Comprenez bien, on croyait réellement mourir écrasé·e·s par un train ! Et puis on se rendait compte que non, que ce n’était pas réel, et on rentrait chez soi. Mais on s’était senti·e∙s vivant·e∙s, durant cette fraction de seconde d’effroi, on s’était senti·e∙s drôlement vivant·e∙s !
Aujourd’hui, nous sommes habitué·e∙s au mensonge, aux truchements du virtuel, dépendant·e∙s, même, de cette constante intrusion du faux dans nos vies. À la télévision, dans les jeux vidéo, sur les panneaux publicitaires, à travers notre téléphone, toujours allumé, toujours connecté·e∙s, nous sommes envahi·e∙s de vidéos truquées, d’images trompeuses, de fausses nouvelles et d’imitations du vrai.
Sans vouloir démoniser le progrès technologique (source infinie d’outils), je me dis alors que peut-être l’immersion de l’humain dans le virtuel lui fait peu à peu perdre son emprise sur le réel…
Le travail de la terre, celui de nos aïeux et aïeules et de nombre de gens éloigné·e∙s du confort, le travail éreintant, qui te ramène à l’essentiel, à ta sueur, à ta condition humaine de survivant·e, ne serait-ce pas similaire, d’une certaine façon, à ce qu’éprouve celui ou celle qui coure le marathon ? Qui part en voyage sans un sou, qui s’enrôle dans l’humanitaire, dans l’armée ou dans une secte, une religion ? Ne serait-ce pas cette souffrance qui est recherchée lorsque s’enchaîne perpétuellement les mauvaises relations ?
Si oui, une fois l’expérience vécue, est-ce que l’effet perdure ?
Est-ce qu’après ton trip, le soir ou au matin, après « être allé∙e jusqu’au bout », après « avoir tout donné », en faisant défiler ton feed sur Facebook, Instagram, la semaine suivante, le mois suivant, tu te sens encore vivant∙e, animé·e, plein d’élan ? Est-ce que l’effet reste, honnêtement ? Ou est-ce que même l’expérience la plus enrichissante se doit sans cesse d’être renouvelée pour te satisfaire ?
Rares sont celles et ceux qui ont envie pour autant de se déconnecter complètement du virtuel et de notre société en général. Alors quel est le secret ? Recommencer, renaître et croiser les doigts ? Peut-être. Du moins jusqu’à ce que l’ancrage dans l’ici et maintenant se fasse en profondeur, que la pratique d’être, d’être vraiment, de façon entière, totale, irréversible, animale, devienne quotidienne, réflexe de chaque instant.
Ça me paraît dans tous les cas préférable à se contenter de raccourcis : drogues, alcool, médicaments pour s’élever hors ce qui fuit. Fuir la vraie affaire par peur de ressentir avec toute la puissance dont la nature en est capable que l’on est là, fougueuses et fougueux, vulnérables, épatant·e∙s, et surtout uniques, différent·e∙s de ce qui nous est présenté dans nos écrans.
Nomade de nature, j’ai pris la décision de planter mes racines partout où je mets les pieds. Maison ou pas, m’ancrer. Écouter. Ne plus dépendre de l’éphémère, du passager ou de l’extrême. Ne plus chercher à me prouver, à prouver que j’existe, telle que je suis, aux autres ou à moi-même.
J’ai décidé que j’existais. Je suis vivante. Et les autres aussi. Tous ces autres auxquels nous sommes si intimement connecté·e∙s (je l’écrivais plus haut). Et j’ai l’intention de me concentrer là-dessus. Sur ce qui crie devant mes yeux, sur le vent qui gifle, sur la brise qui caresse, sur la terre sous mon poids. Vivre, et le ressentir pleinement à chaque instant.
Ça paraît peut-être un peu poétique, mais ça ne l’est pas. C’est la vie, qui l’est. Moi, je m’assois. Je plonge comme jamais dans les yeux de ceux qui me parlent, et encore plus de ceux qui ne parlent pas. Je me frotte au réel à genoux dans le sable, à quatre pattes sur la glace, couchée dans la neige, debout face au soleil, ça ne ment pas.
Conventions sociales et politiques de merde ou non, débordements de mensonges et tsunamis de faussetés ou non, je cuisinerai de mes mains, cajolerai de mes bras, aimerai de mon ventre, courrai de mes jambes, marcherai de mes pieds, grimperai de mes ongles, méditerai de mon âme, chaque jour et chaque nuit et tant qu’il y en aura, dans le silence de la vie, qui s’écoule sans pub, sans virtuel ni virtuose aucun.
Et arrivera ce qui arrivera…